Eau potable : des enjeux qui dépassent la tarification progressive, avis adopté

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Travaux et auditions
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Chapeau

Une tarification progressive du prix de l’eau permettrait d'inciter les consommateurs, particuliers ou acteurs économiques, à davantage de sobriété, qui est un levier majeur pour atteindre l'objectif de réduction de 10 % des prélèvements d’eau d’ici 2030. Cette tarification reste à adapter et à compléter par d'autres mesures au regard des nombreux enjeux autour de la ressource eau. 
Le CESE, saisi par la Première ministre, comme le prévoit le 43e point du "plan Eau" rend son avis en livrant les premiers constats de cette expérimentation de tarification, identifie les freins et propose 9 préconisations d'action visant à faciliter le déploiement de la tarification progressive et à améliorer l’efficacité de l’outil « tarification ».

Corps

Jean-Marie Beauvais (Groupe Environnement et Nature) et Jean-Yves Lautridou (Groupe CFDT) ont présenté au nom de la Commission de l'Economie et des finances du CESE  l'avis à la séance plénière du 29 novembre qui a adopté le texte avec 115 voix pour et 1 abstention.

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Un bilan mitigé de la tarification progressive de l'eau

La réflexion du CESE s'est centrée sur les usagers de l’eau potable raccordé au réseau (particuliers, entreprises, agriculture et services d’intérêt général). Le CESE a analysé dans son avis les premiers enseignements des diverses expérimentations de la tarification progressive de l’eau instaurées par la loi Brottes (Agglomération dunkerquoise, Métropole de Montpellier, Le Sequestre, Libourne, Muret...), ainsi que les conditions et les freins dans sa mise en œuvre :
• le premier frein de l’usager domestique, est l’accès à l’information et la compréhension du prix de l’eau 
• les connaissances sont incomplètes ou parcellaires sur les expérimentations menées par les collectivités : près de 26 000 services d’eau et d’assainissement, insuffisance des données sur la tarification appliquées aux grands consommateurs (entreprises, secteur agricole, artisans ou services d’intérêt général)
• la tarification est essentiellement appliquée aux particuliers disposant d’un compteur individuel
• la confusion entre tarification sociale et tarification progressive à but environnemental, cette dernière peut s’avérer injuste pour certains usagers (familles nombreuses notamment)
•  la difficulté à se prononcer sur l’efficacité de la tarification progressive en termes de réduction des consommations même si les actions de sensibilisation et de communication semblent plus efficaces.

Les conditions d’une généralisation pas réunies

Avec cette analyse et les nombreuses auditions au plus près des acteurs du terrain (communes, agglomération, fédération, syndicats et acteurs des entreprises de l'eau, universitaire) le CESE pointe plusieurs points :

• la remise en cause des compétences des collectivités en matière de distribution d’eau potable et de tarification
• la possible perception d’une tarification inégalitaire (familles nombreuses)
• la difficulté à mettre en œuvre la tarification progressive en l’absence de compteurs individuels
• la tailles des communes : 54 % des autorités organisatrices se situent dans des communes de moins de 1000 habitants, qui ont peu de moyens pour développer de l’ingénierie tarifaire
• l'incertitude sur l’efficacité de cette tarification (faible élasticité du prix).

Alors que les enjeux environnementaux actuels dépassent la tarification des services de l’eau potable, le CESE réinterroge donc le principe de « l’eau paie l’eau » en alertant sur la fin d’une eau « bon marché » à court ou moyen terme. 

Un modèle tarifaire à adapter et à compléter 

Le CESE formule 9 préconisations pour une sobriété des usages et un accès équitable à une eau potable de qualité :

• Consolider les données du système d’information Sispea (Système d’information sur les services de l’eau et de l’assainissement) pour connaître de façon détaillée la consommation des abonnés (particuliers, professionnels, services publics…) et pour tenir compte des différentes parties prenantes dans la construction des politiques publiques

• Anticiper l’inéluctable augmentation des tarifs des services de l’eau potable avec le lancement d’une étude prospective, sous l’égide du Secrétariat général à la planification écologique, pour évaluer les impacts économiques, sociaux et environnementaux de cette hausse

• Élaborer un simulateur de tarification de l’eau à destination des collectivités et permettant d’évaluer l’impact des différents modèles de tarification sur l’équilibre financier de l’autorité organisatrice, sur le budget des consommateurs, mais également d’estimer la baisse de consommation attendue

• Permettre à chaque usager de disposer d’un compteur individuel pour responsabiliser les consommateurs en incitant à la sobriété (mesures financières, actions de sensibilisation et d’accompagnement des usagers, coordination des syndics de copropriétés, services publics de l’eau et de l’assainissement, opérateurs privés)

• Supprimer la tarification dégressive à l’horizon 2030 en accompagnant -techniquement et financièrement professionnels ou services publics vers plus de sobriété pendant la phase de transition

• Mieux réguler les autorisations de forage en révisant le cadre réglementaire (consultation écrite pour avis de la collectivité)

• Promouvoir la mise en place d’une tarification saisonnière dans l’ensemble des communes où l'équilibre entre la ressource et la consommation d'eau est menacé de façon saisonnière (y compris dans celles sans activité touristique) comme le permet la loi LEMA de 2006.

• Assurer l’accompagnement social des usagers fragiles, dissocié de la tarification avec une aide directe des collectivités pour le paiement de la facture d’eau (sous conditions de ressources, quel que soit le type de tarification ou la taille de l’organisme chargé de la distribution)

• Déployer des démarches de sobriété au sein des entreprises en complément des démarches de communications et de sensibilisations prévues dans le plan eau co-construire  des démarches de sobriété et de lutte contre le gaspillage au sein des entreprises.

Pour aller plus loin :

La table ronde

table ronde tarif eau

A la présentation des rapporteurs, une table ronde animée par M. Simon Godefroy, consultant associé de Citexia, spécialisé dans la tarification des services public a permis les échanges entre :

  • Sylvie Cassou-Schotte, Vice-présidente en charge de l'eau et de l'assainissement de Bordeaux Métropole ;
  • Christian Lecussan, Président de la FENARIVE (Fédération nationale des associations de riverains et utilisateurs industriels de l'eau) ;
  • Anne-Sophie Olmos, Vice-présidente Cycle de l'eau Grenoble - Alpes Métropole (en visioconférence) ;
  • Fabrice Mazouni, Directeur général des services du Syndicat de l'eau dunkerquois (SED)

Revoir la table ronde

Que veulent dire les différentes tarifications de l'eau ?

• Tarification uniforme : le tarif au mètre cube est identique quel que soit le volume consommé
• Tarification progressive : le tarif au mètre cube croît à mesure que la consommation augmente. 
• Tarification dégressive : le tarif au mètre cube décroît à mesure que la consommation augmente. 
• Tarification différenciée : elle s’oppose au tarif unique et permet des tarifs différents selon les catégories d’usagers.

L'eau au coeur des travaux du CESE

Avec ce nouvel avis, le CESE poursuit son travail sur la thématique de l'eau après avoir rendu un avis intitulé La gestion de l'eau et de l'assainissement dans les Outre-mer, rapporté par Michèle Chay et Sarah Mouhoussoune en octobre 2022 dans lequel le CESE s’est déjà prononcé en faveur d’une tarification sociale de l’eau, une déclaration du Bureau du CESE et un avis intitulé Comment favoriser une gestion durable de l’eau (quantité, qualité, partage) en France face aux changements climatiques ? rapporté par Pascal Guihéneuf et Serge Le Quéau