Le CESE appelle à mettre fin au réflexe de la prison et à repenser un système pénal qui ait du sens

Sous-titre
Avis "Le sens de la peine"
Date
Publié le 13/09/2023
Chapô

Cet avis a été rapporté par Danièle Jourdain Menninger (Groupe des Associations) et Alain Dru (Groupe CGT) au nom de la Commission Affaires sociales et santé, présidée par Angéline Barth (Groupe CGT) lors de l’assemblée plénière du 13 septembre à 14h. L’avis a été adopté avec 132 voix pour, 1 contre. et 0 abstention.

Description

Dans un avis adopté en 2019, le CESE dressait un constat préoccupant, affirmant que la prison « désocialise, déresponsabilise, crée de multiples ruptures ou exacerbe celles qui existent déjà », tout en identifiant des priorités pour lever les obstacles existants à la réinsertion des détenus. Quatre ans après, et malgré les objectifs fixés par deux lois récentes – la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire – de renforcer la place donnée aux alternatives à la détention, le constat s’aggrave : la surpopulation carcérale bat chaque trimestre de nouveaux records, et ce sont les hommes jeunes, en situation précaire qui y sont le plus représentés.

Aussi, la Commission affaires sociales et santé du CESE a souhaité se saisir à nouveau du sujet à travers un avis qui propose une réflexion sociétale plus large autour du parcours pénal et de ses enjeux, et invite à remettre au cœur du système pénal les dimensions de dignité, d'individualisation, et de compréhension de la peine.

A travers ses travaux et auditions, le CESE a pu établir dans cet avis trois constats majeurs : 


1. La chaîne pénale reproduit les inégalités et donne peu de chance à la réinsertion.
2. Le budget du ministère de la justice augmente mais l’administration pénitentiaire reste le premier poste de dépenses, au détriment des budgets encore trop faibles consacrés à la prévention de la délinquance, à la réinsertion, aux alternatives à la détention et aux aménagements de peine.
3. La contradiction est forte entre, d’un côté, la place données aux alternatives à la détention dans les lois et dans les discours et, de l’autre, la création permanente de nouvelles infractions sanctionnées par des peines de prisons et la centralité persistante de la détention dans les décisions des tribunaux correctionnels.


Fort de ces constats, le CESE appelle dans cet avis à sortir de la surenchère pénale et à mettre fin à la systématisation des peines de prison, en évaluant les effets économiques et sociaux des politiques pénales conduites jusqu’à présent, réorientant, et c’est un préalable, les budgets de la justice vers le fonctionnement des juridictions et mettant de nouveaux moyens à la disposition des conseillers d'insertion et de probation.


Il formule pour cela 19 préconisations, articulées autour de 4 prérequis :

  1. Pour redonner du sens à la peine, le CESE appelle à s’engager résolument dans une programmation effective d’évaluation des politiques conduites jusqu’alors et réorienter les moyens

• Le CESE recommande d’évaluer les effets économiques et sociaux des politiques pénales et faire réaliser, par les laboratoires universitaires spécialisés dans l’évaluation des politiques publiques, un bilan systématique des réformes de la procédure, de la création d’incriminations nouvelles ou de l’alourdissement des du quantum de peine. 
• Le CESE préconise de faire réaliser régulièrement, par le Parlement, une revue générale des délits et des peines, pour analyser leur utilité et leur réalité, réduire le nombre de délits sanctionnés par de courtes peines de prison et assurer une logique d’ensemble.

       2. Le CESE rappelle que la peine n’a pas de sens quand elle n’est pas comprise par les personnes condamnées, par les victimes, par la société

• Le CESE préconise de systématiser l’enseignement dès l’école des grands principes de la justice et de son organisation dans une société démocratique, en développant par exemple les visites de tribunaux et les rencontres avec des personnes qui font et qui rendent la justice. 
• Le CESE recommande de mieux accompagner les victimes en agissant dans deux directions :
o parvenir à une motivation complète et circonstanciée des décisions
o donner les moyens à France Victimes de remplir sa mission de service public au service des victimes, de les informer, les accompagner et les soutenir, le plus en amont possible et à chaque étape, et de s’assurer que les implications de la peine prononcée ou de la décision prise ont été bien comprises. 
• Le CESE préconise de permettre systématiquement aux victimes, notamment de violences intrafamiliales, d’entrer dans un processus d’accompagnement global articulant les décisions pénales et les mesures civiles
• Le CESE recommande d’accélérer les procédures d’indemnisation des victimes et encourager le prononcé de peines complémentaires, de saisies confiscatoires de biens, y compris à l’étranger.

        3. Le CESE rappelle que la peine n’a pas de sens quand ses conditions d’exécution ne sont pas dignes

• Le CESE recommande de définir une politique globale de réduction de la détention provisoire en plusieurs axes : 
o une contraventionnalisation de certains délits ; 
o une limitation de sa durée, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ; 
o une motivation renforcée, en particulier sur ce qui rendrait les autres solutions moins efficaces. 
• Le CESE préconise de recourir plus largement à l’accompagnement socio-éducatif dans le cadre du contrôle judiciaire, y compris en cas de surveillance électronique. 
• Le CESE recommande d’adopter dans le ressort de chaque tribunal judiciaire et dans le cadre d’un processus coordonné par les cours d’appel, une convention associant les autorités judiciaires, pénitentiaires, d’insertion et de probation prévoyant, à partir d’un certain seuil d’occupation, l’identification de solutions de sortie (recensement des personnes susceptibles de faire l’objet d’une libération anticipée : libération sous contrainte, réductions supplémentaires de peine, conversion du reliquat de peine ...)

         4. Le CESE rappelle que la peine n’a pas de sens quand elle n’est ni individualisée, ni adaptée à la situation de la personne et à son évolution 
• Le CESE recommande de généraliser et consolider la prise en charge socio-éducative et le suivi psychologique des auteurs de violences conjugales en :
o définissant plus précisément les objectifs attendus des programmes adressés aux auteurs, en évaluant leur efficacité, leur pertinence et les effets attendus sur eux ;
o renforçant et pérennisant les moyens alloués aux structures qui les mettent en œuvre.
• Le CESE préconise d’encadrer davantage la procédure et le champ de la comparution immédiate et ne pas en faire la solution au manque de moyens et de temps. 
• Le CESE encourage, conformément aux délais définis par la loi, soit l’ajournement du prononcé de la peine, soit l’élargissement aux majeurs de la césure du procès entre le prononcé de la culpabilité et celui de la peine. 
• Le CESE recommande de réunir davantage d’informations sur la personne avant le prononcé de la peine : systématiser les enquêtes de personnalité, qui doivent être plus fournies pour apporter tous les éléments, concrets et vérifiés, de nature à éclairer le juge sur la peine la plus adaptée à sa situation.
• Le CESE préconise d’assurer à chaque personne placée sous main de justice le droit de construire, avec 
les services pénitentiaires d’insertion et de probation, un projet solide d’alternative, incluant en particulier des éléments sur :
o la solution d’hébergement : des dispositifs comme « Un chez soi d’abord» permettant une réponse « sur mesure » préparée en amont
o les soins : accès aux soins et leur continuité (pas de rupture dans l’accès à l’assurance maladie) ;
o des droits essentiels effectifs : des papiers d’identité, un compte bancaire ; - l’inscription dans un projet de formation et/ou d’insertion professionnelle.

Fichier joint