Équilibre vie professionnelle-vie personnelle : le CESE appelle à une protection juridique du temps libre

Sous-titre
Avis "Articulation des temps de vie professionnel et personnel : de nouveaux défis"
Date
Publié le 23/04/2024
Chapô

Suite à une saisine gouvernementale, le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) a adopté ce jour en séance plénière son avis « Équilibre vie professionnelle-vie personnelle : l’articulation des temps de vie » par 118 voix pour. Construit sur la base d’une large enquête citoyenne ayant rassemblé près de 11 000 réponses et contributions, il propose une réflexion sur l’articulation des temps de vie et des pistes de solutions concrètes, notamment la protection juridique du temps libre. 

Description

Aujourd’hui, seuls 36% des salariés travaillent sur des semaines standards à horaires fixes sur cinq jours ouvrés. Face aux évolutions du rapport au travail et des conditions de vie, la recherche de l’équilibre des temps de vie professionnelle et personnelle est au cœur des nouvelles attentes des salariés. Dans ce contexte, le Gouvernement a demandé au CESE, par lettre de saisine du 23 octobre 2023, et dans la continuité de la préconisation 6 du rapport des Assises du travail, une demande d’avis sur les formes d’organisation des temps de travail permettant un meilleur équilibre de vie entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Dans une première partie de constats, le CESE invite à élargir la réflexion sur l’articulation des temps de vie en procédant à une analyse globale de l’état des lieux du sujet aujourd’hui en France et en Europe. Cette analyse est notamment fondée sur une enquête menée sur la base d’une plateforme citoyenne, ayant reçu près de 11 000 contributions et réponses, montrant l’importance du sujet de l’articulation des temps. En complément, 39 auditions et 17 entretiens ont permis d’éclairer les réflexions sur ce qui change aujourd’hui, lorsque l’on parle d’articulation des temps.

Sans être représentative de la population française, cette enquête permet de comprendre la mosaïque de situations qui composent le monde du travail en France, surtout à la lumière d’une analyse des données et mises en perspectives du CREDOC. Ainsi :

  • 75% des répondants estiment notamment que le rythme de travail standard (5 jours ouvrés, 2 jours de weekend) n’est pas le rythme le plus adapté à un bon équilibre vie professionnelle – vie personnelle. 
  • 51% des répondants souhaiteraient pouvoir décider le plus possible des moments où ils se connectent et se déconnectent, reposant ainsi le sujet du droit à la déconnexion.
  • 75% des répondants ont l’impression que leurs journées de travail sont de plus en plus intenses. Ce point est particulièrement souligné par les femmes (77%), dans le secteur de la santé et de l’action sociale (80%), dans les foyers monoparentaux (80%) ou encore chez les aidants (78%).

Dans cet avis le CESE démontre notamment l’importance de prendre en compte au moins 3 séries de facteurs qui recomposent l’équation « articulation des temps et équilibre vie privée/vie professionnelle » : 

  • Les évolutions qui traversent le travail, dans le secteur privé, associatif ou public, marquées par plusieurs tendances, notamment l’intégration des impératifs de la transition écologique, les nouvelles organisations du travail et en particulier le télétravail, l’influence des nouvelles technologies, et l’adaptation au vieillissement de la population ;
  • Certaines évolutions des conditions de vie qui compliquent l’articulation des temps, en pesant sur le temps de repos et en affectant le temps de travail, notamment l’accès difficile à un logement proche du travail, les temps de transports importants, certaines situations de vie (familles monoparentales, aidants, personnes en situations de handicap) ;
  • L’influence de la perception genrée du travail, les tâches domestiques et parentales réduisant notamment le temps de repos des femmes.

Dans ce contexte apparaissent de nouvelles attentes en matière d’articulation des temps : « l’urgence de ralentir » et le souhait de reprendre le contrôle de sa vie en articulant mieux les temps professionnels et personnels. A partir de ces constats et analyses, le CESE s’attache à proposer des solutions qui permettent de répondre aux aspirations croissantes des actifs à un meilleur équilibre de vie, à un rapport plus individualisé au travail dans le respect du collectif,  et à la quête de sens. Il formule ainsi une série de recommandations qui portent sur le secteur privé et sur le secteur public.

 

1. Poser au même niveau juridique le temps de travail et le temps libre, et en finir avec les zones grises entre temps libre et temps de travail

Le CESE propose que la notion de temps libre soit caractérisée juridiquement au cœur de la Charte européenne des droits sociaux, pour clarifier les notions de temps de travail d’une part et de temps libre d’autre part. Le temps libre s’entend comme un temps distinct du temps de travail et exempt de toute sujétion professionnelle. 

Par ailleurs les « zones grises » qui existent aujourd’hui entre temps libre et temps de travail méritent également d’être clarifiées. A cet égard, les astreintes et le droit à la déconnexion sont deux marqueurs particulièrement intéressants. D’une part le régime des astreintes doit être revu pour être réservé à des situations exceptionnelles. D’autre part ; et c’est inattendu, le droit à la déconnexion n’est pas perçu de la même façon par tous les salariés. Pour 50 % des répondants le droit à la déconnexion, ce n’est plus enfermer le temps de connexion dans les bornes « classiques » du temps de travail, mais avoir la possibilité de se connecter et de se déconnecter quand ils le souhaitent.

 

2. Entendre une demande croissante de liberté et d’autonomie des actifs : engager un dialogue social interprofessionnel et professionnel, préciser son contenu lors des négociations dans l’entreprise et amorcer la révolution managériale.

Le CESE recommande l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle sur l’articulation des temps pour accompagner les branches et les entreprises, notamment sur les points suivants :

  • la prise en compte des besoins des salarié.e.s à différentes périodes de la vie et en fonction des différentes situations personnelles ;
  • la mise en œuvre des moyens pour garantir l’effectivité du droit à la déconnexion, les aménagements possibles à la demande des salariés, et les règles de négociation collective sur le sujet ;

Au niveau de la branche, le CESE recommande l’ouverture dans chaque branche d’un « Conférence du progrès », qui permettra d’élaborer des diagnostics des spécificités de chaque secteur et d’organiser des pistes d’actions en faveur de l’articulation des temps. Parallèlement, des expérimentations accompagnées par l’Etat pourraient faire progresser le sujet. Dans l’entreprise, la négociation sur l’articulation des temps doit être précisée dans son contenu pour créer les conditions d’un débat utile et équitable. Mais cela ne suffira pas : le temps est venu de faire du projet managérial un axe important des orientations stratégiques.

 

3. Considérer l’intensification du travail et l’urgence de ralentir

Le CESE recommande d’ouvrir la consultation sur les orientations stratégiques des entreprises qui devront prévoir leur déclinaison dans un projet de management en vue d’améliorer la qualité de vie et des conditions de travail, et les outils pour évaluer la charge de travail.
Le CESE préconise également de reposer, conformément à la jurisprudence, la question du droit à la déconnexion, souvent citée dans les négociations sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) mais rarement traduite concrètement.

 

4. Accompagner le temps libre pour le libérer et le valoriser

Dans une logique d’égalité entre les femmes et les hommes, le CESE préconise de prévoir des mesures pour que les femmes et les hommes puissent prendre les congés liés à la parentalité de manière égale.
Par ailleurs la valorisation des compétences acquises dans le cadre de l’engagement associatif ou syndical est nécessaire : le CESE plaide pour une simplification de la valorisation des acquis de l’expérience pour ce type de parcours.

 

Ce projet d’avis est rapporté par Christelle Caillet (Groupe de la CFDT) et Elisabeth Tomé-Gertheinrichs (Groupe Entreprises), au nom de la Commission Travail et emploi. Il a été présenté lors de l’assemblée plénière du 23 avril 2024 à 14h. L’avis a été adopté avec 118 voix pour et 6 abstentions. 

 

Contact presse :
Ema Hazan
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