Des "lois Auroux" à la prévention des risques psychosociaux dans l'entreprise

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Éclairages
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Chapeau

Jean Auroux, ancien ministre du travail est à l’origine des lois de 1982 qui ont renforcé le rôle des institutions représentatives du personnel et introduit le droit d’expression des salariés sur les lieux de travail. Françoise Geng préside la section du travail et de l’emploi du CESE. La section vient d’achever la préparation d’un avis important sur la prévention des risques psychosociaux, adopté par l’assemblée plénière du CESE le 14 mai dernier.

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Le dialogue social dans l’entreprise est-il, à vos yeux, un atout important pour faire face aux difficultés sociales et aux mutations économiques ? 
Jean AUROUX Certainement. L’entreprise du XXIème siècle doit être celle du travail à dimension humaine et ne pas tout miser sur la technique. La performance ne repose pas sur les seules machines ; il faut surtout compter avec les hommes. L’homme est au cœur de la vie économique et je souhaiterais les directions des « ressources humaines » deviennent des directions des « relations humaines ».
Françoise GENG Dans l’entreprise, le dialogue social doit être placé au même niveau que les enjeux financiers. Dans un contexte d’incertitude et de mutation économique, faire appel à l’intelligence des salariés constitue évidemment un atout essentiel. A ce titre, le dialogue social représente un potentiel qui n’est pas suffisamment mis à profit.
J.A. Je partage totalement ce point de vue. L’efficacité économique va de pair avec le bien-être au travail. Elle est le fruit de l’intelligence collective.

Face à l’émergence des risques psychosociaux, faut-il donner un nouvel élan au droit d’expression des salariés ?
J.A. La loi qui a posé ce droit en 1982 a été votée le 4 août. Tout un symbole ! Donner la parole aux salariés était une volonté de reconnaître leur dignité dans l’entreprise qui « ne devait plus être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ». Aujourd’hui, j’associerais volontiers ce droit à l’action du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L’expression des salariés sur leur travail pourrait constituer un premier niveau susceptible de nourrir les débats du CHSCT. Pour que le droit d’expression soit effectif, encore faut-il qu’une certaine qualité d’écoute soit au rendez-vous.
F.G. Les risques psychosociaux naissent et s’exacerbent lorsque les salariés se replient sur eux-mêmes. L’impuissance à dire les choses génère un grand trouble. Il est donc urgent de renouer avec une certaine liberté de parole dans les entreprises. Rien n’indique qu’une telle liberté soit dangereuse, bien au contraire. Elle peut constituer un puissant facteur d’intégration et permettre à l’entreprise de surmonter certaines difficultés. Il est bien sûr essentiel que la prise de parole ne soit pas seulement formelle et qu’elle trouve un écho auprès de la direction et dans l’organisation du travail.

Trente ans après les « lois Auroux », quel bilan peut-on dresser de l’action des CHSCT en particulier vis-à-vis des nouveaux risques professionnels ? Quelles sont les voies d’amélioration possibles ?
J.A.
Les CHSCT se sont développés et ont pris de l’importance dans la vie des entreprises. Cette dynamique correspond aujourd’hui à un besoin des salariés et des employeurs dans un contexte de transformation du travail. Il est cependant regrettable que l’institution fonctionne encore trop souvent à partir d’une vision très traditionnelle de l’hygiène et de la sécurité qui ne lui permet pas d’appréhender les nouveaux risques avec toute la détermination souhaitable. A cet égard, il est indispensable de mettre l’accent sur la formation des membres du CHSCT. Je suis également partisan d’un doublement de la durée de leur mandat. En revanche une fusion de cette instance avec le comité d’entreprise est, à mon avis, à écarter. Les deux institutions ont vocation à collaborer dans un débat sur l’organisation du travail, en particulier dans les périodes de changement. Dans cette logique de complémentarité, le CE pourrait plus souvent saisir le CHSCT.
F.G. Les organisations syndicales et les directions se sont appropriées le CHSCT. De ce point de vue, c’est un succès. Mais la Fonction publique accuse encore un retard important. Il lui a fallu pratiquement trente ans pour tirer toutes les conséquences de la réforme de 1982. La dimension « conditions de travail » n’est, par exemple, pleinement intégrée que depuis 2009. Sur un plan plus général, l’idée de Jean Auroux d’élargir les droits du CHSCT dans une interaction avec le comité d’entreprise me paraît tout-à-fait judicieuse. Une telle perspective devrait-être portée par la négociation.
J. A. Je formule le vœu que les travaux du CESE permettent d’avancer sur ces questions essentielles. L’avis qu’il vient de rendre sur la prévention des risques psychosociaux est à la fois pertinent et impertinent. Il mérite d’être pris en considération tant par le législateur que par les négociateurs.

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