Sciences et société : les conditions du dialogue

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Vie de l'assemblée
Date de publication
Sous-titre
une nouvelle étude de la délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques
Chapeau

Dans son avis du 11 octobre 2017 « Sciences et société : répondre ensemble aux enjeux climatiques » le CESE s’est prononcé en faveur d’un dialogue de qualité entre la communauté scientifique, la société civile et les pouvoirs publics pour pouvoir rechercher et trouver des réponses collectives aux enjeux du changement climatique. 

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Si ces travaux portent sur un domaine particulier, ils comportent néanmoins des réflexions et des propositions qui peuvent avoir une portée générale, et qui pourraient servir de point de départ à une étude plus large. En effet, les scientifiques sont de plus en plus souvent sollicité.e.s en matière de politiques publiques, qu'il s'agisse de les définir ou de les évaluer dans une multitude de domaines (santé, environnement, économie, sécurité, relations internationales, lutte contre le terrorisme, éducation, etc.).

Il.Elle.s interviennent davantage dans le débat public, que ce soit à l'appui de décisions politiques ou pour les contester, parfois pour en proposer d'autres ou intervenir comme lanceur.euse.s d'alerte. On peut, par exemple, souligner combien le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a pu contribuer à la prise de conscience de la réalité et des enjeux du dérèglement climatique face au climato scepticisme porté par certains décideurs. De fait, la nécessité de disposer de connaissances issues de la recherche pour débattre, prendre des décisions, évaluer ex ante leurs impacts ou ex post leurs résultats, va croissant, si bien que le rôle des scientifiques et plus généralement des expert.e.s semble de plus en plus incontournable.

C'est ainsi que le CESE auditionne régulièrement des universitaires et des chercheur.euse.s dans le cadre de ses travaux. Inversement, les débats d’actualité montrent l’importance et la sensibilité de l’évolution du lien de confiance entre les citoyen.ne.s et la science : les questions de santé publique soulevées à l’occasion des campagnes de vaccination ou de l’usage de produits chimiques tels que le glyphosate - dont le débat actuel remet en cause l’impartialité de la recherche scientifique et interroge ses liens d’intérêt avec les commanditaires - ou de médicaments comme le levothyrox, en sont des illustrations récentes. Le débat soulevé depuis des années par la décision d’implanter un nouvel aéroport à NotreDame-des-Landes pose la question de l’intégration d’expertises scientifiques au cours du processus de décision.

Au final, la parole publique s’en trouve décrédibilisée, l’expertise scientifique ne permettant plus d’éclairer le.la citoyen.ne dans le cadre du débat public. Ce constat soulève, dès lors, de multiples problématiques :

  • les résultats de la recherche font généralement l'objet de débats au sein de la communauté scientifique, la connaissance scientifique étant par nature complexe, souvent très spécialisée, évolutive et soumise à la critique par les pairs, par ailleurs il peut exister au sein d'un même domaine disciplinaire des courants différents voire opposés ;
  • ces résultats sont loin d'être toujours directement transposables dans des décisions politiques, ne serait-ce parce que celles-ci nécessitent le plus souvent de croiser diverses considérations (scientifiques, économiques, sociales, éthiques, etc.) et que ces décisions se veulent simples, applicables de façon aussi universelle, pérenne et incontestable que possible, à cela s'ajoute le fait que les résultats de la recherche peuvent se révéler contre intuitifs et s'opposer à des représentations généralement admises dans la société ;
  • l'expertise scientifique peut être biaisée par le positionnement a priori d'un.e scientifique voire par des conflits d'intérêt liés notamment aux sources de financement de la recherche ; - le développement d'internet permet à tout à chacun de penser avoir accès au savoir scientifique et aux données, et donc d’être en capacité de contester le propos des chercheur.euse.s ;
  • les résultats de la recherche peuvent se heurter à deux écueils, soit l'ignorance ou le refus délibéré de les prendre en compte, soit la tentation de les instrumentaliser pour justifier des décisions qui relèvent d'autres raisons. Il est donc nécessaire de clarifier la place de la connaissance scientifique et de l'expertise dans le processus de décision politique, qui doit trouver un équilibre entre des « convictions argumentées », avec des logiques internes très différentes.

Dans le cadre d’une étude, le CESE via sa délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques, aurait toute légitimité pour s’exprimer sur le sujet en tant qu’organisme représentatif de la société civile qui ferait le lien entre les communautés scientifiques et les instances décisionnelles incarnées par le Gouvernement et le Parlement. Concrètement, il s'agirait de s'interroger sur ce que peut apporter la science au débat public, à la décision politique et à l'évaluation des politiques publiques, puis d’en cerner les limites et essayer de réfléchir à ce que sont les conditions de son efficacité.

Ces problématiques se posent déjà actuellement et devraient prendre une place de plus en plus importante dans l’avenir, justifiant de mener à bien une réflexion prospective qui tiendrait notamment compte des spécificités institutionnelles de notre assemblée et de son rapport à l’expertise. Lors de sa réunion du 23 janvier 2018, le Bureau a décidé de confier à la délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques la préparation d’une étude intitulée « Sciences et société : les conditions du dialogue ».