Le CESE alerte sur la mise en œuvre très lacunaire de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité

Sous-titre
Avis « Bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages»
Date
Publié le 23/09/2020
Description

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté aujourd’hui son projet d’avis « Bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ».  

Plus de trente ans après la dernière loi relative à la protection de la nature de 1976, la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », adoptée en août 2016 après deux ans et demi de débats parlementaires, affichait des objectifs ambitieux et des apports utiles. Parmi eux, l’institution de grands principes (absence de perte nette de biodiversité, solidarité écologique, non-régression environnementale, utilisation durable), la création ou le renforcement d’outils, comme l’obligation « d’éviter, réduire, compenser » (« séquence ERC ») les atteintes à la biodiversité, ou encore la rénovation de la gouvernance (par exemple la création de l’Agence française pour la biodiversité) et la refonte du cadre institutionnel.

Pour autant, aujourd’hui, la situation de la biodiversité en France reste très préoccupante, comme en témoigne le dernier rapport de l’Observatoire national de la biodiversité : seulement 20 % des écosystèmes remarquables sont dans un état de conservation favorable, 60 000 hectares sont artificialisés chaque année en métropole, 23 % des oiseaux communs « spécialistes » ont disparu de métropole…

Ainsi, quatre ans après la promulgation de la loi, le Conseil économique social et environnemental constate que non seulement la « reconquête » n’est pas amorcée, mais qu’au contraire, le déclin se poursuit. Dans ce contexte, et à la veille de nouvelles échéances internationales et françaises (Congrès de l’UICN à Marseille, COP 15 Biodiversité à Kumming en Chine, en 2021, définition de la stratégie nationale pour la biodiversité 2021-2030 en France …), le CESE a souhaité dresser un premier bilan de l’application de la loi, de la même manière qu’il avait présenté son évaluation de la loi relative à la transition énergétique.

Pour pallier les carences dans la mise en œuvre de cette loi, le CESE formule des préconisations autour de cinq axes :

 

·       Rendre effective la séquence « éviter, réduire et compenser » (ERC) :

Le CESE appelle à améliorer le suivi de ce mécanisme et à favoriser l’évitement de dommages à la biodiversité lors de projets, bien avant la recherche de réduction et de compensation. Il préconise également d’intégrer davantage cette séquence aux plans et programmes (SCoT, PLUi, PLU…) afin que ceux-ci prennent plus en compte la biodiversité ainsi que l’état des milieux naturels.

Le CESE préconise notamment de professionnaliser les apports effectués en amont par les bureaux d’étude appréciant des dommages pour le compte du maitre d’œuvre.

Le Conseil recommande également d’assurer le contrôle du respect de la séquence ERCen comblant les carences constatées en termes de compétences, effectifs et budget des services déconcentrés de l’État.

 

·       Définir un paquet réglementaire et fiscal contre l’artificialisation des sols :

Le CESE préconise l’harmonisation de la définition d’un espace artificialisé, en retranchant notamment les parcs urbains,et la mise en oeuvre à un échelon supra-communal de documents de planification plus contraignants.

Le CESE appelle également à mieux calibrer et à utiliser davantage des outils fiscaux et économiques pour dissuader plus efficacement de l’artificialisation de sols. Selon le CESE, la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) pourrait notamment être rendue plus coûteuse en faisant varier les taux de la taxe d’aménagement selon les secteurs.

 

·       Mettre en œuvre l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages(APA) :

Constatant que le mécanisme de l’APA est aujourd’hui très peu appliqué alors qu’il résulte d’un engagement international envers la Convention internationale de la diversité biologique, le CESE préconise de développer, par ce mécanisme, l’accès payant aux ressources génétiques afin de financer la protection de la biodiversité dans les territoires dont elles sont issues et de publier les textes d’application correspondants de la loi, afin de permettre l’effectivité des contrôles de conformité.

 

·       Être à la hauteur des enjeux dans les territoires d’outre-mer :

Face aux carences particulièrement préoccupantes dans la préservation de la biodiversité en Outre-mer, le CESE préconise d’augmenter de façon significative les moyens humains et financiers pour la protection des mangroves et des récifs coralliens et de mettre en œuvre l’expérimentation prévue par la loi d’un réseau d'aires protégées s’inspirant du réseau Natura 2000.

Le CESE préconise également de porter auprès de la Commission européenne une réforme des instruments financiers de soutien aux projets en matière de biodiversité.

 

·       Mobiliser l’ensemble des parties prenantes, des services de l’Etat aux Régions, acteurs agricoles et économiques, syndicats et associations :

Afin de prévenir un traitement en silos par l’Etat de la question climatique et de celle de la protection de la biodiversité, le CESE invite à la multiplication des échanges techniques entre le GIEC et l’IPBES et propose la création d’un rapport commun aux deux entités. Le Conseil préconise également que le conseil de défense écologique investisse le champ de la biodiversité à hauteur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le CESE appelle également à la mise en place, dans toutes les régions, d’une agence régionale de la biodiversitéet d’affecter à la région une part de la taxe d’aménagement des espaces naturels sensibles.

Pour ce qui concerne les activités agricoles, au vu des impacts significatifs sur la biodiversité de certaines pratiques intensives, le CESE juge indispensable la valorisation et l’accompagnement des agriculteursqui s’inscrivent dans la transition agroécologique, notamment dans la réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Le CESE recommande à ce titre l’application de l’article 44 de la loi issue des états généraux de l’alimentation qui prévoit l’interdiction de la vente de produits agricoles ayant reçu un traitement non autorisé par la réglementation européenne. Le CESE préconise également de favoriser la création d'infrastructures agro-écologiques (IAE)de toutes sortes, afin que celles-ci atteignent au moins 10 % de la surface totale des exploitations agricoles,

Pour mieux associer les entreprises à la protection de la biodiversité, le CESE préconise enfin d’intégrer la biodiversité dans les comités stratégiques de filières et d’inciter les entreprises à s’engager dans les initiatives telles que « Entreprises engagées pour la nature‑Act4nature France ».

Cet avis, rapporté par Allain Bougrain Dubourg (Groupe Environnement et nature) et Pascal Férey (Groupe de l’agriculture) au nom de la Section de l’environnement, présidée par Anne-Marie Ducroux (Groupe Environnement et nature), a été présenté lors de l’assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental du 23 septembre 2020.

L’avis a été adopté en plénière à 149 voix pour, 2 voix contre et 10 abstentions.

Fichier joint