Vers la démocratie culturelle

Catégorie
Vie de l'assemblée
Date de publication
Sous-titre
Une nouvelle saisine de la section de l'éducation, de la culture et de la communication
Chapeau

Depuis la création du Ministère de la Culture à la fin des années 1950, la politique culturelle française -initiée par André Malraux- a été fondée sur trois piliers : soutenir la création, préserver le patrimoine, démocratiser la culture. 

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La finalité de ce dernier volet était simple : donner à tou.te.s un accès à la culture –et plus tardivement à son sens, à son esthétique, à son histoire–, en mettant l’accent sur la valeur civilisatrice et éducative des arts. Mais cet axe induisait également, dans sa conception, la définition et la mise en application d’une politique publique par un seul type d’acteur – la puissance publique – suivant une logique verticale descendante ainsi qu’un choix a priori des œuvres culturelles qu’il fallait connaître et aimer. Le mérite de cette politique est d’avoir posé les fondations d’un grand programme d’action publique, d’y avoir insufflé une forte ambition de progrès social pour notre pays et d’avoir permis une vraie dynamique de création artistique. Cependant, force est de constater que cette politique a produit des résultats mitigés en matière d’accès de tous à la culture.

Au fil des décennies, cette vision et cette méthode ont été remises en question. Idéologiquement, la critique de la « démocratisation culturelle » a porté sur son parti pris élitiste d’homogénéisation « du haut vers le bas » et sur la minoration voire la négation d’une culture plurielle. D’autres évolutions d’ordre politique, sociétal, économique et technologique sont venues s’ajouter avec le temps : le pouvoir, les connaissances et l’influence ont été disséminés entre des acteurs multiples et hétérogènes (la société civile a pris une place inédite, la mondialisation s’est accélérée, l’Etat s’est décentralisé) ; incorporée dans la consommation de masse, la culture est devenue un bien marchand ; la capacité d’action et le budget de l’Etat alloué à la culture se sont amoindris alors que, dans le même temps, le concours financier des collectivités territoriales s’est accru et que de nouvelles sources de financement (mécénat, sponsoring, financement participatif) ont émergé ; les structures culturelles publiques se sont parfois « rigidifiées » ; les pratiques culturelles et les publics se sont diversifiés et enrichis ; la participation du public à la création et à la diffusion des œuvres s’est démultipliée avec l’avènement du numérique ; les droits culturels ont été reconnus au plan international ; enfin, la démocratie participative a connu un regain d’intérêt avec l’apparition de structures de co-construction politique. Pour toutes ces raisons, il est devenu difficile pour la puissance publique d’assumer à elle seule toutes les fonctions qu’elle remplissait jusqu’alors. Aujourd’hui, bien que la question de l’accès à la culture pour tous soit toujours d’actualité, la démocratie culturelle se déploie dans notre pays, au travers d’initiatives de co-construction politique.

Le contexte actuel nécessite donc une ouverture de la prise de décision à l’ensemble des parties prenantes, et ce, à toutes les étapes du processus. En outre, le rôle de la puissance publique doit poursuivre son évolution de celui d’initiateur et d’opérateur unique vers celui de coordinateur et de co-financeur, mais surtout de régulateur, garant de l’intérêt général.

Poursuivant toujours l’objectif de rendre la culture accessible à chacun, mais déployant un potentiel d’action plus important, la démocratie culturelle participe à l’émancipation des citoyens et au renforcement de la cohésion sociale. En invitant chacun à prendre part à la construction d’un projet local ou d’une politique publique nationale, elle transforme et élargit le sens même de la culture : perçue initialement à travers un rapport principalement individuel entre l’œuvre et la personne (créateur ou spectateur / auditeur / lecteur, etc.), la culture, une fois co-construite devient support de lien social et d’inclusion. Ainsi, elle donne à tous un accès au patrimoine et à la possibilité de participer à la vie de la cité.

En offrant une place à chacun des acteurs (personnes, associations, artistes professionnels/amateurs, médias, entreprises privées, syndicats de salariés, artisans, et bien sûr Etat, services déconcentrés, collectivités locales etc.), la « démocratie culturelle » permet une diversité des expressions et pratiques culturelles – et donc l’émergence et la promotion de cultures nouvelles.

Ce faisant, la démocratie culturelle présente un cadre d’action propice à l’intégration et à la coexistence de toutes les cultures ; elle offre ainsi la possibilité pour chacun d’être acteur de sa propre culture, autrement dit de forger son humanité, en réalisant la synthèse d’une histoire à la fois individuelle et collective, dans une logique de continuité temporelle entre passé, présent et avenir. De ce fait, la démocratie culturelle établit un pont entre les deux principales acceptions de la culture : de l’accès aux œuvres « artistiques » (au sens large), jusqu’à notre système de valeurs et de représentations, et donc notre façon d’appréhender le monde.

Enfin, la gouvernance de démocratie participative qu’elle sous-tend, d’une part multi-acteurs, d’autre part multi-niveaux (suivant les échelons territoriaux concernés), peut constituer une réponse politique efficace à un ensemble de maux qui rongent notre société contemporaine : individualisme, repli sur soi, communautarisme, mal-être social, désaffection du politique, extrémisme idéologique, fondamentalisme religieux, etc.

Passer d’une culture « pour tous » à une culture « avec tous » ; permettre à chaque individu, à travers la culture, de s'interroger sur le sens de l'intérêt général ; redonner – par la pratique, l’appréciation ou l’exposition culturelle – la conscience à chacun qu'il n'y a qu'ensemble que nous pouvons faire société (comme l’entendait Jean Vilar, avec toute la société) … tels sont les enjeux de cette saisine.

Sans déposséder l'élu de sa parole politique ou de son pouvoir décisionnaire, comment impliquer les citoyens à la vie de la cité ? Quelles articulations imaginer entre tous les acteurs ? Comment assurer un processus de concertation équitable et continu, tout en garantissant la prise en compte de l’intérêt général ? Par quels moyens et de quelle manière offrir aux citoyens ce qu'ils attendent en termes de culture, mais aussi ce qu'ils n'attendent pas ? Comment garantir l’absence de toute dérive communautariste (par laquelle la participation de quelques-uns pourrait déboucher sur l’exclusion des autres) ? Voici pour partie les interrogations qui animeront l’élaboration de cette saisine.

S’inscrivant dans l’esprit de nombreux textes internationaux (Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, Convention de Faro notamment), et dans le contexte récent de la réforme territoriale (loi NOTRe), cette saisine s’attachera à dresser un état des lieux des initiatives de démocratie culturelle qui ont essaimé en France : agendas 21 de la culture, conseils territoriaux de la culture, gestion collaborative de lieux culturels, projets de co-création artistique, budgets participatifs culturels. Elle pourra s’appuyer sur une plateforme de recueil de bonnes pratiques auprès de la société civile. Elle proposera en outre des éléments de comparaison au niveau européen et international.

Cette saisine veillera ensuite à identifier les conditions de mise en œuvre d’une gouvernance partagée en matière d’élaboration des politiques culturelles. Elle accordera une place particulière au rôle attribué à chacun des acteurs. En outre, elle s’intéressera fortement aux outils et supports existants –traditionnels ou numériques– en matière de concertation et de démocratie participative.