Politiques culturelles, création artistique, exception culturelle ...

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Éclairages
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Dialogue entre Pierre Lescure et Claude Michel
Chapeau

Pierre LESCURE est Président du Festival international du film de Cannes, rapporteur de la mission « Acte II de l’exception culturelle » qu’il a présidée. 
Claude MICHEL est rapporteur de l’avis « Pour un renouveau des politiques publiques de la culture » au nom de la section de l’éducation, de la culture et de la communication.

Corps
  • Les politiques culturelles contribuent depuis de nombreuses années au dynamisme et à la variété de la création artistique en France ainsi qu’au rayonnement de la culture à l’étranger. Ces politiques sont-elles adaptées à l’univers numérique ?
     

Pierre LESCURE : Depuis la création du Ministère de la Culture, les pouvoirs publics se sont attachés à mettre en place des mécanismes fondés sur la solidarité entre d’une part la création artistique et d’autre part la diffusion et la distribution des oeuvres pour favoriser la diversité de la création. Ces outils sont aujourd’hui bousculés par les technologies numériques qui transforment les relations entre les créateurs, les usagers et les fournisseurs d’accès et de services par internet. Nous devons conduire un vaste chantier pour reconstruire nos actions et refonder nos instruments de politique culturelle dans le contexte numérique.

Claude MICHEL : La vitalité des industries culturelles françaises, sources d'emploi et créatrices de lien social, n’est pas due au hasard. Les politiques publiques de la culture ont de tout temps oeuvré pour faire accéder à la culture le plus grand nombre et pour susciter un environnement favorable à la liberté de création des artistes. Dans le cinéma français, les fonds de soutien mis en place en 1946, avant la création d’un ministère chargé de la culture, contribuent au développement de l’industrie cinématographique. Cependant, ces dispositifs qui permettent que l’aval, la diffusion des films, finance l’amont, la production, doivent être adaptés pour tenir compte de la vidéo à la demande et de la télévision de rattrapage. C’est dans cet esprit que le préfinancement des chaînes de télévision, qui diffusent ensuite les films, doit aussi être repensé.

  • Comment partager la valeur de la création artistique dans le contexte de diffusion numérique des oeuvres ?
     

Pierre LESCURE:  La diffusion numérique des oeuvres bouleverse la chaîne de valeur des industries culturelles. Les opérateurs de télécommunications, les fabricants de matériel et les acteurs over the top enregistrent une croissance impressionnante grâce à la diffusion des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques. Dans le même temps, les créateurs et les industries culturelles qui créent et produisent ces oeuvres, sont confrontés à une stagnation voire une contraction de leurs revenus. Il s’agit, dans ce contexte, d’associer les industries du numérique au financement de la création en les imposant sur leurs bénéfices au même titre que le sont les entreprises nationales et européennes. 

Claude MICHEL : Le partage de la valeur entre les auteurs et les artistes, les producteurs, les éditeurs et les services qui diffusent les oeuvres est source de tensions. Il est nécessaire de revoir les modalités de la rémunération des auteurs et des artistes par voie d’accord collectif. Il est également nécessaire que ces rémunérations soient perçues directement par les sociétés de gestion collective auprès des plateformes numériques.

  • Quelle est la place de l’exception culturelle quand les biens et les services culturels se diffusent instantanément grâce au numérique ? 
     

Pierre LESCURE L’exception culturelle est un formidable outil de promotion de la diversité des cultures qui peuvent être diffusées par les technologies numériques. L’exception culturelle permet à un état de refuser que sa culture soit soumise aux seules règles du marché. Elle n’est pas l’expression d’une vision défensive et protectionniste de la culture. Grâce à l’exception culturelle, les états conduisent des politiques culturelles à la fois spécifiques à chacun d’eux et européennes. C’est pour cette raison que la culture doit perpétuellement être exclue des accords de commerce internationaux. 

Claude MICHEL : L’exception culturelle a une place primordiale aujourd’hui. La culture est l’identité d’une société. Parce qu’ils sont l’empreinte d’un pays, les biens et les services culturels ne peuvent pas être des biens marchands comme les autres. L’exception culturelle permet de refuser toute hégémonie culturelle d’où qu’elle vienne. La Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, signée en 2005 par L’Union européenne mais pas par les États- Unis, offre un cadre juridique aux états pour définir des approches communes contre la libéralisation des biens et services culturels.

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