Discours de M. Christophe CASTANER, Secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement

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Conférence annuelle du CESE - 12 juillet
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Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames les conseillères, Messieurs les conseillers,

C’est un plaisir et un honneur que d’intervenir devant vous, et je vous remercie de votre invitation à venir m’exprimer à l’occasion de la clôture de votre Conférence de la société civile.

Votre capacité à sentir le pouls de notre société et à en traduire les craintes, les crispations mais aussi les aspirations, vous la devez à votre histoire singulière. La France a une longue tradition de méfiance à l’égard des corps intermédiaires. La Révolution a d’abord imposé une conception selon laquelle la démocratie implique que la représentation nationale ne puisse partager la décision et n’y associe aucun corps. Pourtant, l’idée que la Nation ne repose pas seulement sur les individus, mais également sur des groupements fondés sur la solidarité issue des intérêts économiques et du travail, demeure, cette idée ne s’est jamais éteinte. Avec elle, germe le projet d’une instance de représentation, distinct de l’assemblée élue par les citoyens.

Les formes d’engagement de nos concitoyens sont multiples, foisonnantes même. La vitalité démocratique d’un pays n’est pas réductible au seul engagement partisan, dont le suffrage universel constitue l’aboutissement. 

Elle repose aussi sur les corps intermédiaires, qui formalisent des revendications, élaborent des compromis, et contribuent ainsi à la définition de l’intérêt général. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans la longue histoire qui rattache le Conseil économique, social et environnemental aux instances qui l’ont précédé et qui ont constitué autant de jalons dans la construction d’une démocratie sociale, une seule interruption peut être recensée : celle qui résultait de la suppression pure et simple par le régime de Vichy du Conseil national économique, créé en 1925.

La culture républicaine incarnée par cette institution heurtait en effet la conception autoritaire et corporatiste du régime. Car au fond, quelle est l’ambition du CESE, quelle fut celle de ses prédécesseurs ? Apporter une réponse à la question de la représentation de la société dans toutes ses composantes.

C’est de ce questionnement qu’est née la Commission du Luxembourg, en 1848, lointain ancêtre du CESE. À l’époque déjà, il s’agissait de créer une instance de dialogue entre employeurs et salariés. Lui ont succédé le Conseil national économique puis, à la Libération, le Conseil économique et social, consacré par la Constitution de 1946 comme troisième assemblée de la République.

Sous la Vème République, le Conseil économique et social s’est enraciné dans notre paysage social et institutionnel, malgré les tentations récurrentes de le fusionner avec le Sénat.

La dernière réforme constitutionnelle de 2008 contribue à en faire une assemblée du XXIème siècle, en le transformant en Conseil économique, social et environnemental, épousant ainsi l’une des problématiques majeures de notre temps. Cette réforme a également rajeuni sa composition, la représentation du Conseil ayant été élargie aux étudiants. Ainsi, à travers les 61 organisations représentées au Conseil, c’est toute la France qui est représentée : comme votre président l’a rappelé, il y a autant d’adhérents au sein de ces organisations qu’il y a de Français sur notre territoire !

Cette vocation du CESE à représenter la société revêt une importance particulière dans le contexte de crise de la représentation politique que nous connaissons. En effet, comme vous l’avez indiqué, vous êtes des traits d’union, par ce que vous incarnez et par la manière dont vous enrichissez la démocratie participative.

Ce que vous incarnez, c’est tout d’abord la capacité à dialoguer, au niveau national comme au niveau local, au sein des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. Vous portez témoignage du fait qu’il est possible d’échanger, que l’on soit agriculteur, chasseur, défenseur de l’environnement, syndicaliste, employeur, bénévole associatif… Bien sûr chacun défend son point de vue, mais ne s’en estime pas quitte pour autant. Au contraire, vous administrez la démonstration que le compromis est possible, dès lors qu’on refuse de s’en tenir à la seule expression d’un intérêt particulier, de se laisser enfermer dans une posture et de se prêter à des querelles stériles.

Vous êtes un exemple dont on ne saurait trop s’inspirer. Renouvellement, dépassement…certains, dont j’ai été le porte-parole, s’en sont d’ailleurs récemment inspirés ! Ce que vous incarnez vous permet d’être un rouage essentiel dans un processus de réforme. Pour reprendre, là encore, l’expression du président Bernasconi, vous êtes en effet des « incubateurs de réforme » ! J’en veux pour preuve l’avis que le CESE avait rendu à la suite d’une saisine gouvernementale sur le développement du dialogue social.

Un certain nombre des préconisations que vous aviez formulées avaient fait l’objet d’amendements à la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Ces amendements furent adoptés dans un relatif consensus, ce qui mérite d’être souligné. Par le dialogue, par les échanges, vous étiez parvenu à déterminer une ligne de crête qui traduisait la maturité sociale des réformes que vous proposiez. Je sais que vous vous apprêtez à adopter un avis sur la discrimination syndicale, nul doute que vos recommandations trouveront à prospérer dans le cadre du processus d’adoption des ordonnances renforçant le dialogue social.

Vous avez légitimement souhaité qu’une plus grande attention soit portée au suivi des recommandations du CESE : ainsi le Secrétaire général du Gouvernement vous a-t-il adressé pour la première fois, début 2016, un bilan d’application de ces recommandations. Le Gouvernement est également attaché à ce que les préconisations que vous formulez rencontrent un juste écho et irriguent les textes législatifs et réglementaires. Comme vous le savez, il m’incombe de suivre, aux côtés du Premier ministre, les relations entre le Gouvernement et le Conseil économique, social et environnemental.

Je veillerai à ce que chaque ministère se rende disponible pour répondre à vos sollicitations et réserve aux travaux du Conseil toute la place qui leur revient. On peut ainsi imaginer qu’un « référent CESE » soit désigné au sein des cabinets ministériels, ce référent pouvant être le conseiller parlementaire.

Je veillerai également à ce que les recommandations du CESE fassent l’objet de la même attention, qu’elles découlent d’une saisine extérieure ou d’une autosaisine. Les taux d’application de ces deux types de préconisations doivent converger. Vous êtes également des « traits d’union » depuis la consécration, à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, de la saisine du CESE par voie de pétition, qui vous conduit à examiner celles qui ont recueilli plus de 500 000 signatures. Il s’agit là d’un rôle essentiel que celui dévolu par la Constitution au CESE. Si les partis que l’on peut qualifier de traditionnels sont en crise, ce n’est pas parce que les citoyens ont définitivement déserté l’espace démocratique, c’est parce qu’ils veulent y participer autrement. Les Français manifestent dans la rue, boycottent entreprises et produits, prennent part à des mouvements sociaux, échangent sur des forums ou des blogs, diffusent des mots d’ordre ou les relaient sur les réseaux sociaux. L’engagement associatif témoigne lui aussi d’un fort investissement des Français dans la vie de la Cité.

D’après une récente enquête, 67 % des Français s’estiment aujourd’hui « engagés ». Les français aiment la politique…mais ils n’aiment pas les politiques. Or il est absolument essentiel que les institutions puissent se saisir de ces aspirations à participer à la vie démocratique au-delà des seules échéances électorales.

Le Conseil a, en la matière, un rôle indispensable à jouer, celui qui consiste à transformer des revendications parfois diffuses en propositions structurées. La saisine par voie de pétition vous permet de développer de nouveaux liens avec la société civile et de jouer un rôle d’intermédiaire entre les citoyens d’une part, au service desquels vous mobilisez votre expertise en faisant une analyse constructive du texte de la pétition, et les pouvoirs publics, d’autre part, auxquels vous rendez un avis sur les suites à donner à ladite pétition. Je connais le travail de veille des pétitions de moindre ampleur que vous réalisez également. Le seuil de 500 000 signatures a fait l’objet d’un consensus, en ce qu’il permettait de trouver un équilibre entre un seuil trop élevé, qui privait de tout effet cette saisine citoyenne, et un seuil trop bas qui ne permettait pas d’écarter des pétitions de portée trop limitées. Pour autant des pétitions plus modestes peuvent revêtir une certaine importance, témoigner de l’ampleur qu’un débat est en train de prendre, alerter sur une inquiétude qui se cristallise.

Vous êtes ainsi pleinement dans votre rôle en contribuant à formaliser cette expression citoyenne, et le travail que vous avez engagé sur les déserts médicaux en atteste. Nul doute que cette contribution sera extrêmement utile au Gouvernement et à la ministre de la santé, qui souhaitent prendre ce problème à bras le corps. Enfin, le recours à une plateforme citoyenne, que vous avez expérimentée dans le but de faire participer les internautes à la rédaction des recommandations d’un rapport, me paraît également une piste prometteuse de mobilisation des outils numériques comme instruments de renouveau de la démocratie participative. Je souhaiterais faire une observation s’agissant de la saisine par voie de pétition prévue par l’article 69 de la Constitution. Les dispositions organiques relatives à cette saisine en ont limité le champ aux seules pétitions « physiques », à l’exclusion des signatures numériques. Je connais votre souhait d’élargir les critères de recevabilité des pétitions afin de tenir compte des évolutions intervenues depuis lors. Cela me paraît en effet de bon sens, et il conviendrait de modifier en conséquence les dispositions organiques. Je ne doute pas qu’une opportunité se présente prochainement.

Trait d’union donc, entre les différentes composantes de la société civile, d’une part, le Gouvernement et le Parlement, d’autre part. Ce n’est pas un rôle facile : il vous faut concilier le temps long de la prospective et éclairer les débats de l’heure, vous faire l’écho des attentes de la société civile et satisfaire aux exigences de l’agenda politique et institutionnel. Ce délicat équilibre doit se refléter dans l’organisation et la programmation de vos travaux. Dans cette perspective, le CESE, sous l’impulsion du Président Bernasconi, s’est doté d’un nouveau cadre de travail dont la Conférence de la société civile est l’une des premières traductions et qui doit devenir l’un des temps forts de l’agenda du Conseil. Vous avez décidé d’orienter votre action autour de deux axes stratégiques, la cohésion sociale et la réussite des transitions, afin d’épouser au plus près les préoccupations immédiates des Français. Je sais votre président attentif également à ce que le cadre stratégique s’articule harmonieusement avec les priorités établies par le Président de la République et le Premier ministre.

C’est dans cette perspective que se pose la question du rapport entre les saisines et les autosaisines. D’un côté, la société civile a son propre rythme, son propre agenda, et il est important que le CESE puisse s’en faire le fidèle interprète. Comme votre président vient de le souligner, ces autosaisines « ont […] du sens pour rompre avec les décrochages démocratiques ». De l’autre, il est nécessaire qu’il puisse assurer le coeur de sa mission, qui est d’éclairer les pouvoirs publics. Les saisines sont encore trop peu nombreuses par rapport aux autosaisines, et sans inverser complètement cette tendance, sans doute faudrait-il procéder à un certain rééquilibrage. Le Premier ministre vous a annoncé hier son intention de vous saisir de trois sujets de réflexion, démontrant ainsi le souhait du Gouvernement de profiter pleinement des ressources du CESE. On pourrait également imaginer qu’en lien avec la programmation des travaux législatifs à moyen terme, des axes prioritaires soient identifiés, en lien avec les ministères, afin de mobiliser l’expertise du CESE sur des sujets ayant vocation à être inscrits à l’agenda parlementaire. Dans cette perspective, on pourrait également réfléchir à la part que le Conseil pourrait prendre à l’élaboration des études d’impact. Celles-ci sont parfois très techniques et gagneraient à être enrichies d’un apport plus orienté vers l’efficience des politiques publiques. Or l’évaluation des politiques publiques est un axe de travail que vous explorez, notamment dans le cadre des suites que vous donnez à certains rapports de la Cour des comptes ou du Défenseur des droits, et pour lequel votre expertise et votre légitimité sont incontestables. Je vais également relayer votre légitime demande d’être associés à des manifestations telles que les état généraux de l’alimentation ou les assises de l’outre-mer.

Sans doute pourrait-on également augmenter le nombre de saisines parlementaires. Le renouvellement récent de l’Assemblée nationale et le renouvellement à venir du Sénat doivent constituer l’occasion d’établir de nouvelles méthodes de travail. En tout état de cause, la volonté manifestée par votre institution de moderniser sans cesse ses méthodes travail pour accomplir le mieux possible les missions qui lui échoient rencontre le souhait exprimé par le Président de la République devant le Congrès de faire du CESE la « Chambre du futur ». Plusieurs chantiers vont être ouverts.

L’exigence de représentativité des Institutions, rappelée par Emmanuel MACRON devant le Congrès lundi 3 juillet dernier, le CESE a commencé à y prendre sa part lors de la dernière révision constitutionnelle. Comme pour l’Assemblée nationale et le Sénat, le nombre de membres du CESE sera réduit d’un tiers. La question de sa composition se posera donc de nouveau. Je sais que vous y êtes ouverts, pourvu que des discussions de fond puissent avoir lieu et qu’un équilibre puisse être trouvé afin de préserver la capacité du Conseil à représenter la « société civile organisée », selon une expression qui vous est chère, dans la totalité de ses composantes. Le CESE pourrait ainsi s’ouvrir aux acteurs du numériques, aux représentants des seniors, du secteur de la culture ou de la santé. Il s’agit de propositions, et le débat est très ouvert. C’est ce nouveau CESE qui doit devenir le « carrefour des consultations publiques », ainsi que l’a qualifié le Chef de l’État. Chacun s’accorde en effet sur ce constat que l’État ne peut prétendre réformer efficacement sans consulter. En revanche, ces consultations peuvent sans doute être plus efficaces.

D’après les annexes au projet de loi de finances, et notamment le « jaune » consacré aux commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du premier ministre ou des ministres, on découvre que notre pays compte pas moins de 443 de ces instances. Un important effort de rationalisation a été accompli, dans la mesure où l’en on comptait presque 800 il y a dix ans.

Réfléchir à l’articulation de ces structures avec le CESE est indispensable si nous voulons réussir à faire du Conseil « la grande instance consultative » que le Président appelle de ses voeux. Plusieurs solutions peuvent être envisagées, on peut concevoir que le CESE se voie confier un rôle de « chef de file » des consultations publiques, ou selon les cas, envisager un système de subsidiarité qui permettrait de « calibrer », si j’ose dire, les interventions du CESE en fonction de l’ampleur et du périmètre des sujets.

Là encore, je vous invite à vous saisir pleinement des orientations esquissées par le Président de la République et à réfléchir à une méthodologie. Ainsi, et pour conclure, représentant mieux encore la diversité de la société française, davantage à l’écoute de ses évolutions, le Conseil économique, social et environnemental pourra constituer ce « forum de la République » si riche de promesses et si nécessaire au renouveau de notre vie démocratique.

Je vous remercie.

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