Colloque "Pour une transition écologique juste, les organisations de la société civile s'engagent"

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Synthèse du colloque du 10 décembre 2015 à la COP 21
Chapeau

Le Conseil économique, social et environnemental français a consacré une grande partie de ses travaux des cinq dernières années au changement climatique et à ses implications sur l’économie, l’environnement et, plus généralement, la société.

Corps

Constitué d’organisations représentatives d’intérêts différents (organisations syndicales, d’employeurs et de la société́ civile), il est toujours parvenu à construire des consensus autour de ses recommandations, démontrant la force potentielle d’une gouvernance associant réellement la société́ civile à la définition et la mise en œuvre des politiques climatiques.                                                             

Il a organisé, le 10 décembre 2015, l’avant-veille de la clôture de la COP 21 et dans la zone des négociations du Bourget, un colloque synthétique de deux heures au cours duquel ses recommandations les plus fortes ont été présentées.                                                                                     

Une centaine de participants était présente, parmi lesquels des membres de délégations étrangères, d’Amérique du Sud notamment, des élus locaux, dont le maire des Lilas, ou encore des membres de Conseils économiques et sociaux d’Afrique francophone - Burkina Faso, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo etc. Les recommandations du CESE ont ainsi  bénéficié d’une portée au-delà des frontières nationales et ont été enrichis de points de vue internationaux.

Les échanges ont été animés par Michel Doucin, conseiller diplomatique du CESE et secrétaire général de l’Union des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires de la Francophonie (UCESIF).

Principaux messages et réflexions portés par le CESE

Thème 1 : Comment poursuivre la nécessaire mobilisation au-delà de l’accord de Paris ?                         

Anne-Marie Ducroux (groupe environnement et nature - Humanité et biodiversité), présidente de la section environnement.

Au terme d’une mandature de cinq années, le Conseil Economique, Social et Environnemental français est heureux de présenter dans le cadre d’un side event de la COP 21, un bilan de ses travaux sur le climat et la transition écologique. Ils ont largement été conduits dans le cadre de la section environnement que j’ai l’honneur de présider, mais aussi, ce qui est la preuve de la reconnaissance de l’importance du sujet, par les sections en charge des affaires européennes et internationales, de l’agriculture, du travail et de l’emploi, de l’aménagement durable des territoires, des affaires économiques, ainsi que de la délégation à l’outremer. L’ensemble de ces travaux, soit une vingtaine d’avis et rapports forme un ensemble cohérent et signale qu’un pas très important a été franchi : la construction d’un consensus entre des participants représentant des sphères aux intérêts a priori divergents – organisations patronales, syndicales et ONG - autour de l’origine anthropique du dérèglement climatique et de l’objectif de l’endiguer tout en s’adaptant à ses conséquences irréversibles. La lecture idéologique a été dépassée et les débats ont porté concrètement sur la façon dont il fallait avancer, la trajectoire qu’il était urgent d’adopter. Le CESE a aussi, dans ses travaux, souhaité rendre compte de la mobilisation de la société civile, qui a pesé fortement, bien qu’indirectement, sur les négociations. Après la COP 21, cette dynamique de société doit se poursuivre, permettant la convergence des stratégies climatiques des acteurs tant publics que privés.

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Bernard Guirkinger (groupe des personnalités qualifiées, Suez environnement), co-rapporteur de l’Avis “Réussir la conférence climat Paris 2015”.

Quelle que soit la teneur de l’accord, ce dernier ne sera qu’un cadre à partir duquel les engagements étatiques seront - ou ne seront pas - appliqués. La société civile doit veiller à sa mise en œuvre effective. Il est aussi de son rôle de pousser à la clarification de certains engagements flous, par exemple sur les échéances indiquées - ou non - dans les contributions nationales ou encore sur le contrôle et le suivi de leurs applications. Elle a aussi pour mission de faire pression afin que les engagements qui ne sont pas à la hauteur des enjeux soient rehaussés ; la dynamique de révision de l’accord devra être poussée. La société civile doit accompagner les avancées positives. Le fait que le problème des subventions étatiques aux énergies fossiles ait été beaucoup débattu dans les derniers mois avant la COP 21 est un signe encourageant et montre la direction du chemin qu’il nous reste à parcourir, le thème n’étant pas repris dans le projet d’accord. Il faudra accompagner le mouvement, en faveur de la sortie des énergies fossiles, particulièrement actif, par exemple au Canada depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. 

Parmi les points de vigilance sur lesquels la société civile peut agir, le CESE identifie cinq  priorités :

  • influer sur le montant et la transparence du Fonds vert, et se battre pour que la société civile soit représentée à son conseil d’administration ;
  • exiger des règles à respecter pour éviter que des investissements soient indûment qualifiés de “verts” et pour que puisse se développer une véritable finance verte;
  • plaider pour la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, de même envergure que l’OMC et l’OIT
  • lancer le débat sur  les inégalités manifestes dans les émissions de gaz à effet de serre : 10% de la population mondiale émet plus de 50% des GES (T. Piketty);
  • s’assurer que les objectifs de développement durable récemment définis par les Nations Unies seront effectivement associés à la lutte contre le dérèglement climatique, en sorte de favoriser la cohérence globale des politiques publiques.

Antoine Bonduelle (groupe environnement et nature - Réseau Action Climat France), co-rapporteur de l’avis “L’adaptation de la France au changement climatique mondial”

Le traité attendu de cette réunion de la Conférence des parties à la Convention climat a vocation à soutenir et renforcer une dynamique existante déjà forte. Le CESE a choisi de l’analyser en observant l’adaptation au changement climatique, à l’échelle nationale, dans des secteurs clés. Il en est ressorti que la transition écologique et énergétique était d’ores et déjà en marche dans les territoires, certains villes et zones rurales ayant été pionnières dans l’amorçage de la transition. Cette dynamique existe aussi au niveau mondial. En 2014, les énergies renouvelables représentaient déjà 50% des nouveaux investissements destinés à produire de  l’électricité. 43 pays vulnérables se sont fixés un objectif de 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050. Les études d’impact du GIEC sont de plus en plus nombreuses, synthèses d’une recherche scientifique plurisectorielle et multipolaire très dynamique. L’heure est donc à la prise de conscience de la nécessité d’agir.

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Gaël Virlouvet (groupe environnement et nature - FNE), co-rapporteur de l’avis “20 ans de lutte contre le réchauffement climatique en France”

Cet avis résulte d’une volonté de situer concrètement dans son contexte politique la lutte contre le dérèglement climatique en France, et de montrer que cette démarche s’inscrit dans la durée. Dans les années 1990, la politique climatique française a débuté de manière élitiste et jacobine, un groupe très restreint de personnes étant chargé de travailler sur les enjeux climatiques et de lier les perspectives nationales et internationales. Au début des années 2000, on observe que les enjeux climatiques s’inscrivent dans les stratégies des territoires. C’est à cette époque que l’ADEME commence à soutenir les collectivités qui souhaitent expérimenter la mise en œuvre d’un Plan climat. En 2009, la loi Grenelle conduit les collectivités de plus de 50 000 habitants à réaliser des plans climat. En 2015, la loi sur la transition énergétique constitue l’étape suivante, clarifiant les compétences des territoires. Ce processus s’est étendu à toutes les inter-communalités, permettant à chaque acteur local de devenir responsable de ses enjeux climatiques et de disposer de moyens adéquats. Cette appropriation progressive des questions climatiques et énergétiques par les territoires nous semble être une dynamique plus que pertinente, essentielle. 

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Thème 2 : Emploi, mobilité́, énergie et éco-innovations : quels leviers pour changer en profondeur nos comportements ?

L’animateur, Michel Doucin, a introduit cette seconde séquence du débat en indiquant que les thématiques qui y seraient abordées seraient les « potentielles orphelines » de l’accord de Paris, appelant une vigilance particulière des organisations de la société civile.

Marie-Béatrice Levaux (groupe des personnalités qualifiées, FEPEM), co-rapporteure de l’avis “L’emploi dans la transition écologique”

L’emploi ne saurait être considéré comme une simple variable d’ajustement dans la transition écologique : il en est un facteur indispensable. Réussir la transition écologique implique en effet d’anticiper et de former les futures compétences nécessaires pour occuper les emplois durables de demain - notamment dans les nouvelles technologies du secteur des énergies renouvelables - tout en accompagnant les travailleurs dans la transformation de leurs métiers. Les enjeux d’emploi doivent s’inscrire dans une véritable feuille de route du dialogue social. Les politiques d’emploi et les politiques sociales sont à mener conjointement de manière cohérente, durable et stable.

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Pierrette Crosemarie (groupe CGT), rapporteure de l’avis “Les inégalités environnementales et sociales : identifier les urgences, créer des dynamiques”

La justice climatique n’est possible que si l’on avance parallèlement sur le terrain de la justice sociale. Pour ce faire, il aurait été très utile que les notions de “transition juste” et de “travail décent” figurent dans la partie opérationnelle de l’accord de Paris. Elles ne sont évoquées que dans le préambule, c’est-à-dire dans la partie non-opérationnelle.  Faire le choix volontariste d’une transition juste, c’est permettre que les destructions d’emploi engendrées par l’adaptation se transforment en opportunité pour les territoires. Les changements attendus de la transition écologique devraient aussi être l’occasion de réduire les inégalités sociales. Sans une transition juste, c’est l’inverse qui se produira. Mener une transition juste signifie ne laisser personne de côté, transformer les risques d’augmentation des inégalités en opportunité de les réduire. En termes d’emploi, une transition juste se traduit par une large politique de formation aux qualifications nouvelles. En termes énergétiques, elle implique une politique d’infrastructures et de rénovations de l’habitat qui permette à tous d’accéder à l’énergie durable, et non d’accroître, au contraire, la précarité énergétique. En matière de santé environnementale, l’émergence de nouvelles pathologies exige qu’une politique durable de prévention soit mise en place, de même que des infrastructures de soins adaptées. Enfin, face à la diversité des territoires, notre politique climatique doit se construire sur une solidarité territoriale.                

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Bruno Duchemin (groupe CFDT), co-rapporteur des ’avis “La transition énergétique dans les transports” et « Révolution numérique et évolutions des mobilités individuelles et collectives »

Les risques d’exclusion existent aussi dans le domaine des transports, issus d’une politique d’urbanisation qui a privilégié l’extension territoriale, éloignant les moins riches et réservant les cœurs de ville aux plus fortunés. Les plus vulnérables consacrent donc un temps et des dépenses importantes à leur transport vers les lieux de travail et de  vie sociale. L’économie du partage et de l’Internet, qui se met en place lentement à l’initiative principalement des grandes entreprises (co-voiturage, télétravail, etc.), ouvre des perspectives de rééquilibrage à condition d’être accompagnée par une politique régionale des transports publics qui s’adapte et l’intègre. La mobilité numérique fait apparaître des opportunités par la création de nouveaux services, une meilleure utilisation des investissements, un plus grand confort et une simplification du quotidien, ainsi que des bénéfices possibles pour l’environnement et les territoires. Elle s’appuie sur des ressorts collaboratifs nouveaux qu’il importe d’encourager car ils recréent du lien social.  Cette révolution est en marche ; les initiatives et les nouvelles applications liées à la mobilité foisonnent. Mais cela s’opère hors cadre législatif et réglementaire adapté alors que les fondements de nos équilibres économiques et sociaux sont percutés. Sans réflexion collective, ni définition d’une stratégie nationale et européenne, nous serions confrontés à des conséquences majeures pour les libertés individuelles (marchandisation), les services publics et privés (déstabilisation), ainsi qu’au plan industriel et social (transfert de la valeur ajoutée hors de France, évolutions fortes de l’emploi). Il faut donc se saisir des opportunités tout en se protégeant des risques. Cela implique de réfléchir au nouvel ensemble de services de la mobilité numérique, partant de la demande et des besoins exprimés individuellement, et d’en réguler le fonctionnement, tout en l’intégrant dans une vision collective de développement durable. L’accord en préparation ne retient rien en matière de transition juste, sauf une mention dans l’introduction. Il faudra être vigilant pour que le sujet reste dans le débat.

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Jean Jouzel (groupe des personnalités qualifiées - climatologue membre du GIEC), co-rapporteur des avis “L’adaptation de la France au changement climatique mondial” et la “Transition énergétique 2020-2050: un avenir à bâtir, une voie à tracer”

Le prix du carbone pèse sur la précarité énergétique. Les débats portent aujourd’hui principalement sur la nécessité de donner un prix plus élevé au carbone, afin d’orienter l’économie vers une décarbonation, et la dimension accroissement des inégalités qui peut en résulter est pratiquement ignorée. Il est impératif de bien maitriser l’ensemble des composantes et de prévoir des mesures d’adaptation pour les plus fragiles. A l’heure actuelle, il n’y a pas de vraies discussions sur la question. Ceci illustre un sujet beaucoup plus large et qui n’aura pas de place dans l’accord en préparation : l’importance de la recherche pluridisciplinaire, incluant les sciences sociales, dont le rôle est absolument fondamental dans la réponse au changement climatique. Sans elle, nous n’aurions pas pris conscience de la gravité du dérèglement climatique et nous n’aurions pas de solutions à mettre en œuvre. En 2009, lors de la COP15 qui s’est tenue à Copenhague, nous n’entrevoyions pas de solutions. Ce sont les études réalisées ces six dernières années qui nous permettent de savoir vers où aller désormais. Cette dynamique doit se poursuivre et les moyens nécessaires à la recherche doivent être à la hauteur des enjeux. Le projet d’accord de Paris est muet sur ce point. La clause de révision de l’accord de Paris n’a de sens que, si d’ici 2020, un fort soutien donné la recherche lui permettra d’avancer dans l’identification des techniques et des usages, notamment dans le secteur agricole et en matière de stockage énergétique, permettant de réduire fortement contre les émissions de CO2. Il faudra aussi que la recherche scientifique définisse des instruments permettant d’évaluer les engagements contenus dans les contributions nationales (INDC), tâche fort difficile car beaucoup d’INDC sont purement intentionnelles, formulant des hypothèses pour l’après 2030. Dans l’avis sur la transition énergétique, le CESE, s’appuyant sur les recommandations du GIEC, a promu  l’objectif de passer sous la barre des 2°, correspondant à une réduction par 4 des émissions de GES. La loi française a repris cet objectif.

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Catherine Tissot-Colle (groupe des entreprises), co-rapporteure de l’avis “Transition énergétique 2020-2050: un avenir à bâtir, une voie à tracer”

Avec l’avis Transition énergétique 2020-2050, un avenir à bâtir, une voie à tracer, élaboré en 2012 et adopté en 2013, le CESE a été l’une des premières institutions à réfléchir à la transition énergétique sous la perspective de ses impacts, amorçant une évolution des mentalités qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Les représentants des entreprises, membres du CESE, y ont participé activement. Ils n’ont pas été isolés au plan international : le monde économique s’est fortement mobilisé ces trois dernières années. Les organisations patronales de plus de 130 pays, représentant 6 millions d’entreprises, se sont engagées, lors du Forum Business et Climat, en mai 2015, pour une transition mondiale vers une économie bas-carbone et résiliente au changement climatique. Elles ont appelé les pouvoirs publics à fixer un prix du carbone  constituant un repère. Les enjeux énergétiques et climatiques sont désormais pris en compte de manière indissociable. “Énergie” et “climat” sont aujourd’hui perçus comme un seul concept. Le monde de la finance a embrayé, déclarant vouloir se désengager de plus de plus des énergies fossiles. C’est un signal très fort. L’accord de Paris en préparation, sera classiquement axé sur les engagements des Etats, mais ceux-ci ne maitrisent pas la totalité des leviers d’action. Il faudra être créatifs et vigilants pour que la mise en œuvre de l’accord associe cette composante essentielle de la société civile, les entreprises.

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Catherine Chabaud (groupe des personnalités qualifiées, navigatrice et journaliste), rapporteure de l’avis “Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ?”

L’océan représente 71% de la surface de la terre et joue un rôle majeur dans l’équilibre climatique. Le dérèglement du climat exige donc de comprendre l’océan. Les recherches dans ce domaine sont essentielles à la fois pour préserver cet écosystème mais aussi pour y puiser ses potentiels immenses, que ce soit en matière énergétique ou encore sanitaire. L’accord attendu a accepté une simple mention dans son introduction. Certes, on connait encore très peu de chose des mécanismes à l’œuvre dans le réchauffement et l’acidification des océans. Nous savons que nous ne connaissons sans doute pas plus de la moitié des animaux marins, une part minime des micro-organismes qui les nourrissent. Le droit maritime est embryonnaire et sujet d’actions de puissants lobbies qui travaillent à exclure le transport maritime de l’accord en préparation. Mais nous savons aussi que les phénomènes à l’œuvre dans les mers sont, pour certains irréversibles, comme la disparition des barrières coralliennes certaine au-delà d’un réchauffement deux degrés entrainant une accélération de l’acidification.  Il est donc très dommage que l’accord soit quasiment muet que ce déterminant décisif du climat mondial.  L’avis du CESE consacré à l’océan dont j’ai été la rapporteure avait eu un écho certain auprès du gouvernement français. C’était un premier pas et, du reste, la diplomatie française est de celles, rares, qui ont plaidé pour et obtenu que le terme “océan” soit inscrit dans le préambule de l’accord de Paris. La mobilisation de la société civile sera primordiale pour soutenir et accélérer le mouvement de prise de conscience de l’importance du sujet. Telle est la raison d’être de la plate-forme “Océan et climat” à laquelle je participe à titre personnel, qui allie des scientifiques, des ONG et des organisations du monde économique.

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